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C’est donc l’histoire d’une mine abandonnée qui se déplie ici. Mine que le passage du temps et des hivers répétés auront patiemment fini d’engloutir. Mine que seule une petite ouverture de vase rappelle à la vue, mine dont l’entrée est aujourd’hui bouchée, derrière un panneau d’interdiction de circuler (encore un). 

Creusée à coups de pioches, puis de dynamite, on en extrayait au milieu du XIXe siècle, du fer. Fer que l’on acheminait ensuite vers la région des Grands Lacs américains, qui servait alors de base à la gigantesque métallisation du monde. 

La petite ouverture de vase est aujourd’hui minutieusement grillagée, sise sur les terrains de conservation de la Commission de la capitale nationale (CCN), l’organisme responsable de la gestion des espaces « verts » autour de la capitale fédérale canadienne, Ottawa. 

Situés en territoire Anishinabeg non cédé, ce trou (si l’on se positionne en surface) et ses profondeurs (si l’on se décide à y plonger pour en explorer les multiples chambres souterraines et l’écologie microbienne qui y pulse - c’est le projet de Cassandre Lazar, microbiologiste, et de Kevin Brown et son équipe, plongeurs explorateurs), ce trou-profondeur figure ici le centre de l’enquête. 

Imaginer ici de gigantesques enveloppements phréatiques, veinant et reliant ladite terre à un réseau complexe de lignes aquifères. Imaginons ensuite ce trou imploser sous le différentiel de pression. Percer, s’ouvrir béant, avant que d’expulser jusqu’à la surface un immense bain. 

Après avoir été le siège de puissants coups de pioches et de violents dynamitages5, les trous ont fini par rejoindre les nappes. Et comme le marché mondial du fer (et de la magnésite frittée auquel il servait de liant) n’était pas celui que l’on imaginait au moment des investissements fournis au moment de l’ouverture de la mine, on a «tiré la plug»: on a débranché, il y a plus de cinquante ans, les pompes qui empêchaient l’eau souterraine de s’engouffrer dans les couloirs aériens. 

Ce passage «terra-formatif» est important puisque l’on estime que la vie micro-organique actuellement présente dans l’eau de notre trou-profondeur proviendrait de ces mêmes parois creusées, de micro-organismes aérobiques qui, une fois submergés, auraient dû faire sans air, explorer de nouvelles voies métaboliques pour, éventuellement, devenir anaérobiques. 

Crucial même, puisqu’à chaque (dé)formation de la terre, à chaque extraction, correspondrait non plus simplement une réponse adaptative au changement, mais bien plutôt une improvisation créative face aux modulations (plus ou moins brutales, plus ou moins profondes) du milieu.

Alors que le parc de conservation actuel donne l’impression d’une nature vierge, intacte et pure, l’enquête nous ramène au pied du trou. Un trou d’eau opaque, sorte de petit étang de rien. Seul le mur en béton armé qui le ceinture d’un côté donne à penser que quelque chose s’y est déjà passé. À l’intérieur de ce trou : de l’eau froide, très froide. Impénétrable, opaque, accompagnée de promesses. Des promesses de découvertes, d’explorations, de limites à repousser, de nouvelles formes de vie à révéler. Une ligne bleue étrange, sur une photo prise par un plongeur aventureux, laisse penser à un biofilm.

L’examen rapproché de cette image suggère l’existence énigmatique d’une colonie micro-organique, installée sur des ruines, possiblement digérant les métaux lourds et, du même coup, de très bon augure en ces temps de « solution technologique » (technological fix). Quelques semaines après la circulation de l’imprimé photographique, au pied du trou, se massent une équipe de plongeurs logistique et une autre de microbiologistes. Pendant plus d’un an, les plongeurs effectueront un total de huit plongées, récoltant des dizaines d’échantillons prélevés le long de gradients suivant les pentes plus ou moins douces de la mine et atteignant parfois des profondeurs vertigineuses de près de 200 mètres, dans une eau à 2 °C.

PLONGÉES

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