
DÉMINER
Le crissement des bottes en caoutchouc sur la neige est quasi-méditatif. Une silhouette, épaisse et rouge, vacille avec la précision d’un métronome, de droite à gauche, de droite à gauche. Le pas est lourd, important. La dame, là, sur le sentier, qui promène son chien comme chaque matin, elle, n’en revient pas. Ça ressemble à des cosmonautes. Mais pourquoi ici, ce matin, dans cette banlieue résidentielle tranquille, en plein mois de février, par moins 25 degrés? Pourquoi des cosmonautes? La précision du métronome ne faiblit pas, mais la fumée de plus en plus dense que dégage sa silhouette dans l’hiver hémiboréal traduit un début d’essoufflement. Heureusement, l’O est proche. Entre la combinaison technique et les bouteilles de plongée, le poids total de l’équipement à déplacer sur la neige spongieuse et les épaules avoisine les cent kilos.
Plus que le poids, il faut faire attention à ne surtout pas transpirer, sous la combinaison sèche, à l’intérieur du saint dry suit, entre les couches de laine mérinos. Couches qui ne doivent surtout pas se mouiller avant la plongée, au risque de transir de froid les corps qui devront attendre, patiemment et dans une forme d’angoisse métaphysique, les temps réglementaires de décompression. Une fois atteintes les profondeurs, une fois prélevés les échantillons d’eau au fond de la mine, une vingtaine de minutes, il faudra respecter la décompression du corps, ne pas faire exploser ses coulées à lui. Mais que se passe-t-il, là-bas, dans ces espaces de décompression où, pendant plusieurs heures, dans la moiteur gelée des couches de mérinos, il faut attendre avant de remonter. Zone de saturation sensible et vitale où les pressions intérieures du corps et de ses eaux doivent retrouver l’équilibre, se remettre de l’écrasement des profondeurs, ne pas lâcher?
L’eau, celle de la neige, de la vapeur qui sort des bouches essoufflées, celle qu’il faut éviter d’installer entre la peau et le vêtement, celle à prélever au fond de la mine abandonnée, celle qui manquera cruellement dans le gosier une fois le détendeur installé, celle qui risque, en même temps, de noyer les plongeurs à chaque instant, l’eau fait ici figure de motif à la fois discret, ordinaire, vulgaire et éblouissant, extraordinaire, foetal, fatal.